Initiative «Pour l’avenir»: la sécurité juridique suisse remise en question?
Au-delà du débat fiscal et environnemental, l’initiative « Pour l’avenir » suscite de sérieuses interrogations sur ses conséquences juridiques et institutionnelles.
Le 30 novembre prochain, les citoyens suisses se prononceront sur l’initiative fédérale «Pour l’avenir» qui propose d’instaurer un impôt fédéral de 50 % sur les successions et donations supérieures à 50 millions de francs, afin de financer la transition écologique. Au-delà du débat fiscal ou climatique (traités dans nos articles précédents (lien)), le texte soulève des questions sur la sécurité juridique, le fédéralisme et les droits fondamentaux.
Karine Curti, directrice de la Fondation pour l’attractivité du canton de Genève, et Patrick Kern, juriste, analysent les conséquences d’un projet qui pourrait profondément modifier la structure et la stabilité du cadre juridique suisse.
Remise en cause de l’autonomie des cantons
En Suisse, la fiscalité des successions relève aujourd’hui de la compétence exclusive des cantons. Ce sont eux qui décident librement de leurs impôts, de leurs taux et de leurs exonérations. «En donnant à la Confédération la compétence de prélever un impôt sur les grandes successions, cette initiative empiète sur l’autonomie fiscale des cantons», avertit Patrick Kern. Une telle centralisation représenterait une rupture importante dans l’équilibre actuel du partage des compétences entre la Confédération et les cantons, un équilibre au cœur du fédéralisme suisse.
Insécurité juridique
Autre point de tension : le texte prévoit une application immédiate, dès le lendemain de la votation, avant même que la loi d’exécution ne soit entrée en vigueur.
«Appliquer un impôt avant même que les modalités de perception soient édictées provoque une insécurité juridique et porte atteinte à la confiance des citoyens dans la stabilité du cadre légal suisse», souligne Patrick Kern.
Une situation jugée problématique au regard du principe fondamental de la prévisibilité du droit. Le Conseil fédéral a d’ailleurs exprimé des réserves sur ce point.
Selon Karine Curti, les conséquences seraient très concrètes : «Des personnes qui ont planifié leur transmission depuis des années dans un cadre fiscal connu se retrouveraient soudainement imposées selon de nouvelles règles». C’est donc l’entier du principe de l’Etat de droit qui se voit fragilisé.
Une «exit tax» jugée disproportionnée
L’initiative prévoit également la création d’une «exit tax» : des mesures fiscales dites préventives à l’encontre des personnes fortunées qui quitteraient la Suisse après l’adoption de l’initiative. Concrètement, cela reviendrait à imposer les personnes concernées avant même leur départ. «Restreindre leur liberté de déménagement serait une atteinte disproportionnée à leurs droits fondamentaux», commente Patrick Kern, qui rappelle également que «le simple fait de quitter la Suisse ne peut pas être automatiquement qualifié de comportement d’évitement fiscal».
Le Conseil fédéral partage cette analyse, considérant qu’une telle disposition serait difficilement compatible avec les garanties constitutionnelles et le droit international.
Un impôt jugé confiscatoire
Au-delà des enjeux institutionnels, la question du taux soulève elle aussi des inquiétudes : «appliquer tout à coup un taux fixe de 50 % contredit totalement le principe de capacité contributive du droit fiscal suisse», estime Karine Curti. Ce principe repose sur l’idée que la charge fiscale doit être proportionnelle et proportionnelle aux moyens réels du contribuable.
L’absence d’exonération ou d’abattement renforce encore les craintes concernant la protection de la propriété et la survie des entreprises familiales.
«Pour les héritages, composés d'actifs non liquides, comme par exemple des entreprises ou de l'immobilier, cela nécessitera dans beaucoup de cas, de devoir vendre une partie des biens transmis pour pouvoir s'acquitter du montant de l’impôt successoral», prévient Karine Curti.