Un impôt fédéral sur les successions: les PME familiales suisses en danger?

À quelques semaines de la votation du 30 novembre, le fiscaliste genevois Xavier Oberson analyse l’initiative « Pour l’avenir », qui entend introduire un impôt fédéral de 50 % sur les successions et donations supérieures à 50 millions de francs.

Dans ce nouvel épisode de notre podcast, Xavier Oberson, avocat fiscaliste à Genève et professeur de droit fiscal à l’UNIGE, explique les enjeux de l’initiative « Pour l’avenir », qui sera soumise au vote populaire le 30 novembre.  Le texte propose un impôt fédéral de 50 % sur la part des successions et donations dépassant 50 millions de francs et affecte son produit à la lutte contre la crise climatique et à la transformation de l’économie.

Ce que changerait l’initiative

Aujourd’hui, l’impôt sur les successions est exclusivement cantonal. « C’est un des rares bastions cantonaux qui restent en matière fiscale », rappelle Xavier Oberson. Chaque canton applique ses propres règles, avec même deux cantons qui ne connaissent pas d’impôt successoral.
Si l’initiative était acceptée, elle introduirait un impôt fédéral venant se superposer à ceux des cantons, bouleversant l’équilibre du fédéralisme fiscal : « Certains cantons vont se demander s’ils doivent encore prélever leur impôt, le modifier ou le supprimer. »

Cette redéfinition des compétences fiscales serait inédite et ouvrirait de nombreuses incertitudes, notamment sur la coordination entre Confédération et cantons.

Un taux jugé excessif et inégalitaire

Le texte prévoit un taux unique de 50 % au-delà de 50 millions. Un seuil qui, pour Xavier Oberson, soulève un problème fondamental : « Quelle est la différence entre quelqu’un qui a 49 millions et quelqu’un qui en a 51 ? »
Une telle structure, explique-t-il, « viole le principe de la capacité contributive et de l’égalité de traitement ». Dans un État de droit ordinaire, elle serait jugée inconstitutionnelle. Mais au-delà des principes, les conséquences économiques seraient bien réelles.

En Suisse, neuf entreprises sur dix sont familiales. Or, 80 % de leur patrimoine est immobilisé dans l’entreprise ou l’immobilier professionnel. « Ces familles n’auraient souvent pas les liquidités nécessaires pour payer un tel impôt. Elles devraient vendre des parts de l’entreprise, s’endetter ou partir. »
La valorisation fiscale, basée sur des critères théoriques, accentue encore le risque de ventes forcées ou de délocalisations.

 

« Ces familles n’auraient souvent pas les liquidités nécessaires pour payer un tel impôt. Elles devraient vendre des parts de l’entreprise, s’endetter ou partir. »

Selon Xavier Oberson, le texte ne prévoit pas non plus d’exemptions usuelles, comme celles qui protègent les transmissions entre conjoints ou parents–enfants, ni de régime particulier pour la philanthropie. Ainsi, « un legs à un musée ou à une fondation serait frappé du taux de 50 % au-delà du seuil ».

La Suisse prélève déjà l’impôt sur la fortune chaque année, en plus de l’impôt sur le revenu. Ajouter un lourd impôt successoral revient, pour la même base, à une triple imposition (revenu/fortune/succession), voire quadruple pour les entrepreneurs, dont l’outil de travail est déjà inclus dans la fortune.

Concurrence internationale : la Suisse en décalage

Dans la plupart des pays dépourvus d’impôt sur la fortune, la fiscalité sur les successions s’accompagne d’abattements généreux et d’exemptions ciblées : conjoints, transmissions d’entreprises, dons à des institutions culturelles ou caritatives. Rien de tel dans le projet helvétique. L’initiative « Pour l’avenir » introduirait un taux unique de 50 % au-delà de 50 millions de francs, sans nuance, sans seuil progressif, sans filet. « Je n’ai jamais vu un système comme ça. Ce serait un choc pour la Suisse », avertit Xavier Oberson.

Dans un contexte de concurrence fiscale accrue (Italie, Grèce, Portugal, Monaco, Dubaï ou encore certains États américains) il observe déjà des départs. Le fiscaliste alerte aussi sur le signal envoyé à l’étranger et sur une possible perte de confiance dans un modèle fiscal jusque-là fondé sur la stabilité et la prévisibilité. « On a déjà un impôt sur la fortune et sur le revenu. Ajouter un impôt successoral aussi élevé, c’est taxer trois fois le même patrimoine. » Et de conclure : « Notre force, c’est la stabilité et la confiance. Il ne faut pas la fragiliser. »

 


Au programme de l’épisode

  • Comment fonctionne aujourd’hui l’impôt sur les successions en Suisse et pourquoi il varie selon les cantons.
  • Les conséquences d’un passage brutal à un taux fédéral de 50 %.
  • Les risques pour les entreprises familiales et le fédéralisme fiscal.
  • L’impact sur la philanthropie et les transmissions entre proches.
  • Les effets possibles sur la fuite des capitaux et la concurrence internationale entre pays.
  • Pourquoi cette initiative soulève des questions de constitutionnalité et de sécurité juridique.

    À écouter absolument pour comprendre le système actuel et les effets que l'initative pourrait avoir, sur la Suisse, ses entreprises et ses contribuables