Delphine Bachmann en interview

«L’enjeu est de renforcer la compétitivité de Genève»

Genève a présenté jeudi sa nouvelle stratégie économique pour les dix prochaines années. Un document qui se veut un cap à atteindre, présentant intentions et vision. Le plan d’action devrait être présenté d’ici au début de l’année prochaine. Entretien avec Delphine Bachmann, conseillère d’État en charge de l’Economie et de l’Emploi.

Genève Attractive: La dernière stratégie économique cantonale remonte à 2015. En quoi celle que vous présentez aujourd’hui est-elle différente ? 

DB: La temporalité change : nous visons un horizon de dix ans, contre quinze auparavant. Surtout, la stratégie sera déclinée en un plan d’action assorti d’indicateurs chiffrés, ce qui n’était pas le cas dans la précédente stratégie (NDRL : qui seront présentés d’ici au début de l’année prochaine). Mais la principale différence c’est qu’elle comprend un important volet transversal touchant l’ensemble des secteurs économiques, tout en ciblant concrètement trois domaines à fort potentiel de croissance : les sciences de la vie, l’industrie créative et l’économie numérique. 

Les entreprises dénoncent souvent la lourdeur bureaucratique. Qu’allez-vous mettre en place pour leur faciliter la vie ? 

« Notre rôle est de faciliter la vie des entreprises pour qu’elles puissent croître ici, avec une administration simple et des conditions cadre prévisibles. » 

La stratégie économique ne peut pas à elle seule répondre à cette lourde tâche. D’autant que tout ne relève pas uniquement du canton de Genève : certains aspects sont fédéraux. Nous devons éviter le « Swiss finish » qui va au-delà des normes internationales et freine l’esprit d’entreprise et l’émergence de nouveaux modèles économiques. Le rythme administratif et politique n’est pas toujours celui de l’économie. Je pense qu’il n’y a pas une réponse miracle, mais au contraire plusieurs leviers d’actions. Nous avons par exemple lancé un guichet unique pour les entreprises, qui a déjà répondu à plus de 400 demandes depuis le début de l’année et qui sera bientôt disponible en anglais. 

Au niveau de l’État, nous travaillons aussi à un principe du « once-only » : lorsqu’un document a été fourni à l’administration, il ne devrait pas être redemandé par un autre service, avec toute l’attention requise à la protection des données. 

La baisse de la charge fiscale des entrepreneurs figurait parmi vos priorités l’an dernier (impôt sur la fortune, taxation de l’outil de travail). Pourquoi ce dossier n’apparaît-il plus dans la stratégie ? 

C’était et ça reste un objectif du Conseil d’État. Un projet de loi a été proposé puis refusé par la population. Le sujet reste néanmoins une préoccupation du Conseil d’État et les discussions se poursuivent, ce dossier est porté par ma collègue Nathalie Fontanet. 

En revanche, dans le cadre de la stratégie, nous étudions la possibilité d’introduire des QRTC (NDLR : Qualified Refundable Tax Credits, crédits d’impôt remboursables qualifiés), un outil de compétitivité pour le canton et l’ensemble de ses entreprises. 

Votre stratégie veut renforcer les piliers historiques de l’économie genevoise comme l’horlogerie, la finance ou le trading. Concrètement, comment ? 

En dopant d’abord nos conditions cadre, y compris la fiscalité, et en agissant aussi sur le territoire : zones à bâtir, usage plus rationnel du foncier, adéquation des sites aux besoins réels. Des études sont en cours sur les besoins des entreprises industrielles. À ce propos, une première analyse a été réalisée sur la rive gauche. Par ailleurs, le Grand Conseil a validé le financement du plan directeur de l’innovation. Il s’agit aussi de renforcer le marketing territorial. La compétition s’accélère et l’enjeu est de faire évoluer notre image et de la dynamiser. 

Vous souhaitez également soutenir des secteurs émergents comme l’économie numérique. Or des pépites locales, comme Proton, menacent de partir, tandis que d’autres se développent davantage par exemple aux États-Unis, où le capital est plus abondant. Comment être plus attractifs ? 

Soyons réalistes, Genève et la Suisse sont de petits territoires et ne seront pas les États- Unis, mais ils disposent de solides atouts. Notre rôle est de faciliter la vie des entreprises pour qu’elles puissent croître ici, avec une  
administration simple, un bon accès aux talents, des conditions cadre prévisibles, des soutiens financiers ciblés et un modèle économique viable. C’est l’objectif de la stratégie. 

Dans l’actualité brûlante, les tarifs américains ont augmenté de 39%,  
et le marché américain représentait plus de 15% des exportations genevoises en 2024. Quel risque voyez-vous pour le PIB cantonal et l’emploi cette année ? 

Je dois reconnaître que la radicalité de la mesure a été violente, c’est du jamais vu à ma connaissance. à Genève, nous serons un peu moins touchés que d’autres cantons grâce à la diversité de notre économie. Les secteurs particulièrement concernés sont l’horlogerie (NDLR : avec 2,4 milliards de francs d’exportations aux États-Unis, soit près de 70% des exportations genevoises vers les États-Unis, la bijouterie avec plus de 700 millions, et dans une moindre mesure la chimie (170 millions de francs)). Il faut y ajouter toutes les chaînes de sous-traitance et de production industrielle. Bien qu’il y ait des éléments rassurants, il y aura un ralentissement si les choses ne changent pas. 

De combien ? 

Nous n’avons pas encore réalisé de planification chiffrée de l’impact, mais nous suivons de près cette situation qui me préoccupe.  

Qu’allez-vous mettre en place pour atténuer l’impact de ces taxes sur les entreprises genevoises ? 

D’abord, en encourageant la poursuite des discussions avec les États-Unis, pour qu’il y ait un accord et obtenir un revirement sur ces hausses tarifaires. Ensuite, Genève n’a pas attendu l’actualité pour soutenir ses entreprises : nous avons, par exemple, doublé le financement cantonal de l’innovation, tandis que Berne envisage des coupes. Nous faisons notre part pour maintenir la compétitivité. 

Dans l’immédiat, les RHT (NDRL : réduction de l’horaire de travail) peuvent aider à conserver des emplois, mais ça ne suffira pas. Il faut les assouplir afin qu’elles puissent couvrir aussi des activités de R&D, pas seulement la production, pour préserver l’emploi mais aussi investir dans l’avenir.