Genève, champion du vote, mais pas de la participation

Genève, champion du vote, mais pas de la participation

Genève vote plus que n’importe quel autre canton suisse, et la Suisse concentre à elle seule la moitié des votations du monde. Pourtant, la participation recule. Comment expliquer ce paradoxe dans un pays souvent cité comme modèle démocratique ?

Depuis la création de l’État fédéral en 1848, la Suisse a organisé près de 680 votations nationales. « Nulle part ailleurs, on ne vote autant qu’ici, » rappelle Karine Curti, directrice de Genève Attractive. « Notre pays concentre près de 50 % des votations populaires mondiales depuis 1900. » Les sujets soumis au vote vont de la fiscalité à la mobilité, en passant par l’énergie. Cette densité démocratique reflète une conviction profondément ancrée en Suisse : le peuple est l’arbitre ultime.

Genève, un cas d’école démocratique

À Genève, cette culture de la votation prend une ampleur exceptionnelle. « Alors que dans d’autres cantons le nombre de votations cantonales tend à diminuer, à Genève, il a explosé », explique Patrick Kern, juriste à Genève Attractive. Le canton est passé de 4,6 objets par an dans les années 1970 à 8,7 objets par an aujourd’hui. Un signe, selon lui, d’un débat politique « très vivant », mais aussi d’un climat moins consensuel. Le recours fréquent au référendum facultatif en est la preuve : à Genève, les citoyens contestent, débattent et décident plus souvent qu’ailleurs. « C’est à la fois une force et une faiblesse. Cela prouve la vitalité du débat démocratique, mais aussi la difficulté à trouver des compromis », commente Karine Curti.

Chute de la participation

Cette effervescence démocratique ne suffit pourtant plus à mobiliser. La participation moyenne aux votations plafonne à 48 % en Suisse, et a chuté dernièrement à Genève : pour exemple les taux de 28 % et 41 % lors des deux derniers scrutins cantonaux. «Entre 1995 et 2015, Genève votait plus que la moyenne nationale. Depuis 2020, la tendance s’est inversée », observe Patrick Kern. Un recul d’autant plus paradoxal que les objets soumis au vote touchent souvent au quotidien : logement, emploi, mobilité, fiscalité…

Fracture générationnelle

La fracture générationnelle s’accentue. « On observe un petit pic à 18 ans, mais dès 25 ans, seuls 20 à 25 % des jeunes votent, contre 55 % chez les plus de 70 ans », note Patrick Kern. Le vieillissement démographique risque ainsi de déséquilibrer le poids politique des générations à venir.

Pour Patrick Kern, ce recul de la participation n’est pas anodin : « L’abstention est devenue le premier parti du pays, » prévient-il. « La plus grande menace pour la démocratie, ce n’est pas l’opposition, c’est l’indifférence », ajoute Karine Curti. 

Ce constat illustre un malaise plus profond : les jeunes générations peinent à se sentir concernées par un système politique perçu parfois comme complexe ou éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. 

Faire vivre la démocratie au quotidien

Karine Curti et Patrick Kern plaident ainsi pour une meilleure pédagogie démocratique. « Il faut mieux expliquer les enjeux et créer un lien plus visible entre les décisions politiques et la vie quotidienne, » souligne Karine Curti. Autrement dit : redonner du sens au vote. 

La démocratie directe suisse repose sur une idée simple, mais exigeante : elle ne se décrète pas, elle se pratique. Dans un pays où quatre langues et des cultures diverses cohabitent, le projet démocratique lui-même sert de ciment national. C’est ce que Patrick Kern appelle un patriotisme constitutionnel : « Notre identité ne repose pas sur un drapeau ou une langue, mais sur un contrat politique : celui de décider ensemble, régulièrement, de notre avenir. »

Un trésor à entretenir

Neuf Suisses sur dix se disent satisfaits de la démocratie, un record mondial. Mais cette confiance ne doit pas masquer la nécessité de raviver la participation. Pour Karine Curti, le message est clair : « La démocratie ne vit que si on la fait vivre. Voter, c’est exercer un pouvoir unique : celui de décider ce que l’on veut pour demain, pour Genève, pour la Suisse. »