Initiative «Pour l’avenir» : la Suisse a-t-elle vraiment besoin d’un nouvel impôt fédéral pour atteindre ses objectifs climatiques?

La Suisse vise à réduire de moitié ses émissions d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces objectifs, déjà appuyés par plusieurs mesures, nécessitent-ils vraiment un nouvel impôt?

Le 30 novembre prochain, les citoyens suisses se prononceront sur l’initiative fédérale «Pour l’avenir». Le texte propose d’instaurer un impôt fédéral de 50% sur les successions et donations supérieures à 50 millions de francs, afin de financer la transition écologique. Une idée controversée : la Suisse a-t-elle réellement besoin d’un nouvel impôt pour tenir ses engagements climatiques?

«La Suisse a pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de moitié en 2030 par rapport au niveau de 1990 et atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050», rappelle Karine Curti, directrice de la Fondation pour l’attractivité du canton de Genève.

Pour y parvenir, la Confédération s’appuie déjà sur plusieurs instruments législatifs: «dont la loi sur le climat et l’innovation, ainsi que la loi sur le CO2, qui fixent des objectifs concrets», précise Karine Curti. Ces lois ciblent les secteurs les plus polluants (transport, bâtiment, industrie) et s’accompagnent de programmes d’encouragement financés par la Confédération.

Rupture avec le principe du pollueur-payeur

Pour Patrick Kern, juriste, l’initiative introduirait un changement de philosophie dans la politique environnementale suisse : «l’initiative «Pour l’avenir» rompt avec le principe du pollueur-payeur de la Suisse, car elle taxe les transmissions du patrimoine, indépendamment des comportements environnementaux des individus». Autrement dit, il ne s’agit plus de faire payer ceux qui polluent, mais ceux qui héritent, une approche qui peut s’avérer contre-productive en matière d’incitation écologique.

Genève déjà en action

Le canton de Genève s’est déjà doté d’un plan ambitieux pour réduire son empreinte carbone. «Le canton consacre 5,9 milliards de francs à la transition écologique via son plan climat cantonal 2030, soit près de 53 % de son budget total d’investissement 2022-2031», souligne Karine Curti.

À ces efforts s’ajoutent des mesures concrètes : le développement du photovoltaïque, la création de réseaux thermiques structurants, et un soutien à la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. 

Recettes incertaines

Si les initiants promettent jusqu’à 6 milliards de francs de recettes annuelles, le Conseil fédéral estime des recettes bien plus modestes : «entre 100 et 650 millions de francs par an, loin des 6 milliards estimés par les initiants», détaille Patrick Kern. Cette différence s’explique notamment par les comportements d’évitement fiscal anticipés: les plus grandes fortunes, souvent très mobiles, pourraient choisir de s’établir ailleurs pour échapper à ce nouvel impôt.

Risque d’exode fiscal

Un scénario chiffré, comme l’avance Karine Curti. Selon les estimations du Conseil fédéral, 74% des contribuables concernés pourrait quitter la Suisse en cas d’acceptation de l’initiative, «entraînant le transfert de 93 % de leur patrimoine imposable à l'étranger».

Une telle fuite des capitaux aurait des conséquences majeures pour les finances publiques : «Les pertes fiscales dues au départ des contribuables sont estimées sont estimées entre 2,8 et 3,7 milliards de francs », souligne Karine Curti. 

Au-delà du risque économique, l’efficacité même de la mesure interroge. Patrick Kern rappelle que l’impôt sur les successions n’a pas la même portée que les autres prélèvements directs : «Il est lié à un événement unique, comme un décès ou une donation, contrairement à l’impôt sur le revenu ou la fortune, qui assurent des recettes régulières pour les collectivités». Ce caractère ponctuel limite donc l’efficacité à long terme du dispositif pour financer durablement la politique climatique.